Edition découverte Prescrire 2024-2025
OUVERTURES
Efficacité des traitements annoncée aux patients : souvent grandement surestimée
● Une enquête aux États-Unis d’Amérique a mon tré que de nombreux soignants de premier recours surestimaient les risques liés aux maladies ainsi que l’efficacité de certains traitements courants, par rapport aux données de l’évaluation clinique. ● Dans leur communication avec les patients ou leur entourage, les soignants expriment en géné ral l’efficacité du traitement en diminution rela tive du risque de complication, et non en diminution de sa valeur absolue, ce qui conduit à surestimer son efficacité. ● Cette distorsion dans la représentation de l’ef ficacité du traitement nuit à la possibilité de prendre une décision fiable partagée avec le patient. U tiliser un traitement à bon escient suppose que le prescripteur ait, entre autres, une appréciation correcte d’une part du risque de base, c’est-à-dire le risque lié à une situation clinique en l’absence de traitement, d’autre part de l’efficacité du traitement. Une enquête étatsunienne a montré que beaucoup de soignants ont des difficultés à évaluer ces éven tualités pour un patient donné (1). Surestimation du risque de base ainsi que de l’effica cité des traitements. Une équipe de chercheurs a mené une enquête en soins de premier recours aux États Unis d’Amérique auprès de 480 médecins, 48 infirmiers et 14 assistants de médecins pratiquant dans huit États. Ces soignants ont été interrogés sur la proba bilité de survenue d’une complication sans traitement ainsi que sur l’intérêt d’un traitement visant à la pré venir, pour un patient fictif déterminé, dans quatre situations cliniques : fibrillation auriculaire, hyper tension artérielle modérée, ostéoporose et hyper cholestérolémie modérée. Leur appréciation a été mise en regard des données de l’évaluation clinique (1). Pour la fibrillation auriculaire, l’estimation par les soignants du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) pour l’année suivante chez un homme âgé de 62 ans avec une hypertension artérielle contrôlée et une fibrillation récente, en l’absence de traitement, a varié de 2 % à 15 %. Pour la moitié des soignants interrogés, ce risque était d’au moins 5 %. Il est pour tant de 0,4 % à 2 % selon les données d’évaluation (1). À la question « Qu’annonceriez-vous à ce patient comme pourcentage de réduction du risque d’AVC dans l’année qui vient avec un traitement par warfarine ? », la moitié des soignants ont répondu 50 % ou plus, leurs réponses allant de 5 % à 80 %. Les données d’évaluation montrent que dans le cas proposé, le traitement anti coagulant réduit le risque d’AVC de 39 % à 50 % en valeur relative, et de 0,2 % à 1 % en valeur absolue (1). Une surestimation analogue du risque de base et de l’efficacité des traitements a été constatée dans
les autres situations cliniques proposées : hypo- tenseurs pour prévenir un événement cardiovasculaire dans les 5 ans en cas d’hypertension artérielle mo dérée ; diphosphonates pour prévenir une fracture du col du fémur dans les 5 ans en cas d’ostéoporose ; statines à dose modérée pour prévenir dans les 5 ans un événement cardiovasculaire en cas d’hyper cholestérolémie modérée (1). Un attrait pour l’expression en risque relatif. Les auteurs de l’étude constatent une propension des soignants à exprimer les bénéfices d’un traitement en termes de risque relatif plutôt qu’en risque absolu. Pourtant, en général, l’efficacité d’un traitement pour un patient est plus concrète quand on indique la réduction de surve nue d’un événement en termes de risque absolu. La préférence pour une expression en valeur relative peut reposer sur l’impression d’ampleur de l’effet sur le trouble, ce qui est souvent trompeur pour mesurer l’avantage concret pour le patient qui en est atteint (1). Dans l’exemple de la fibrillation auriculaire, la majorité des soignants interrogés surestimaient le risque de base de complications et une grande part surestimait aussi la réduction relative du risque de complications grâce au traitement. Cela conduit au final de nombreux soignants à une forte surestimation de l’efficacité du traitement (1). Un biais cognitif pesant sur l’information transmise aux patients. Les soignants qui surestimaient le plus l’efficacité des traitements se déclaraient davantage enclins à les proposer aux patients. Il est vraisem blable que la perception biaisée de cette efficacité soit transmise aux patients, ce qui nuit à la possibi lité de prendre une décision partagée reposant sur une base fiable et transparente (1). Une situation dommageable à laquelle s’ajoute une possible sous-estimation des effets indésirables des traite ments, un aspect non pris en compte dans cette étude. Outre les biais cognitifs qui conduisent à survalo riser l’efficacité d’un traitement, les auteurs de l’étude pointent un défaut dans la formation des soignants, dont beaucoup apprennent les traitements sous forme de règles de décision dichotomiques (oui/non) et s’appuient sur des raisonnements physiopatho logiques ou d’autres modèles théoriques, et non sur l’efficacité du traitement exprimée en valeur absolue à partir de l’évaluation clinique (1). ©Prescrire Sources 1- Morgan DJ et coll. “Clinician conceptualization of the benefits of treatments for individual patients” JAMA Netw Open 2021; 4 (7) : e2119747 + Annexe 1 “Survey Questions” : 13 pages. Rev Prescrire • Juin 2023
COMMUNICATION
P age 16 • L a revue P rescrire (É dition découverte ) • S eptembre 2024 • T ome 44 N° 491 bis
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